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France musique : actualité musicale

Publié le lundi 07 janvier 2019 à 17h48

Marianne Suner, la femme derrière le jeune pianiste marseillais repéré sur les réseaux sociaux

Marianne Suner
Classique info du vendredi 28 décembre 2018Aliette Delaleu & Marianne Suner
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Chanteuse, compositrice et cheffe de chœur, Marianne Suner intervient depuis près de 15 ans dans les quartiers Nord de Marseille auprès des enfants et adolescents des cités. C’est à cette occasion qu’elle a rencontré le jeune pianiste Mourad Tsimpou, dont l’histoire a ému les médias.

C’était le conte de Noël parfait : un jeune prodige des quartiers Nord de Marseille est repéré sur les réseaux sociaux grâce à une vidéo le montrant jouer sur un piano de l’hôpital marseillais La Timone. Les internautes, émus par son talent, se mobilisent pour lui offrir un instrument. André Manoukian cherche ses coordonnées, et voici le jeune musicien devenu star des médias en quelques jours. 


L’histoire que l’on connaît moins, c’est celle qui l’a poussé à jouer du piano. Ce n’était pas un hasard, mais une rencontre avec la compositrice, chanteuse et cheffe de chœur Marianne Suner. Habituée à travailler avec les enfants des écoles du nord de la cité phocéenne, elle a repéré les talents musicaux de Mourad, non pas sur un piano, mais en entendant sa voix et sa capacité à improviser. 
 

Depuis ce jour, elle suit le jeune musicien de près, a lancé une cagnotte pour l’aider à financer son parcours musical, l’a invité à rejoindre la Troupe Chantante, un vivier de jeunes artistes qui se spécialisent dans le répertoire vocal contemporain, et lui a offert plusieurs espaces de création, comme Les mots de Thomas, un conte musical inventé par Mourad et diffusé à la radio en mai 2018. 

France Musique : Comment en êtes-vous arrivée à travailler avec les enfants des quartiers Nord de Marseille ? 


Marianne Suner : Arrivée à Marseille en 2004, je suis allée à la rencontre de gens qui travaillaient avec la voix et rapidement j'ai rencontré une association à la Friche Belle de Mai [lieu culturel marseillais] qui m'a permis de monter un opéra, Les Planteurs de perl, que j'avais déjà écrit mais jamais encore monté. On a commencé à travailler dessus en 2006 et la création a eu lieu en 2008. Il y avait 60 chanteurs enfants sur scène, et une vingtaine d'adolescents musiciens du conservatoire de Marseille. A cette occasion, j'ai rencontré une classe qui venait de l'école de la Busserine, une cité dans les quartiers Nord de la ville. Depuis, je n'ai eu de cesse de travailler avec eux... J'ai aimé leur contact, la porte ouverte sur la découverte d'un autre monde, sur le rêve, les échanges, l'authenticité. D’ailleurs en mars 2019, la prochaine création se fera uniquement avec des enfants de la Busserine.

 


Comment se déroulent les interventions que vous faites avec ces enfants ? 


Le cœur de mon travail consiste à partir de l'expérimentation, de la création, et d’établir une confiance pour laisser sortir les choses d’elles-même. Ensuite, en tant que musicienne, je fais appel à la musicalité des enfants, comme un échange. 


Mais concrètement, qu’est-ce que cela donne ?


Il y a des phases où l’on doit inventer, par exemple pendant l'échauffement. Le principal objectif c’est d’être en confiance, car c’est avec elle qu’un groupe peut se laisser aller à inventer. Il faut être en confiance pour s'autoriser l'erreur. Quand on crée, on ne sait pas si ce sera beau, ou complètement à côté de la plaque. C'est important d'arriver à cet état d'esprit et à cette confiance, qui prend une grande partie de mon travail.

 


Pour que vous puissiez créer avec ces enfants, vous avez monté une association. 


Le Vivier Opéra Cité (VOC), une association implantée dans la Busserine, au cœur de la cité. C’était très difficile de s’installer dans un autre quartier de Marseille car il faut faire venir régulièrement les enfants. Or, les quartiers, rien qu’au niveau des transports, c'est une expédition pour en sortir. Nous n’avons jamais réussi à avoir un local fixe dans le 14e arrondissement donc on a travaillé pendant des années avec notre équipement sur le dos, en allant d'une classe à l'autre, toujours dans les quartiers Nord. 


Quelle est la mission du Vivier Opéra Cité ? 


C'est une association qui travaille au projet : on invente des choses (spectacles, opéras, expositions, films…) avec tous ceux qui ont envie de travailler avec nous. Par exemple pendant deux ans, nous avons travaillé sur la création d’Opéra.22. Pendant un an, les enfants ont fait un travail de recherche qui s’appelait “alter sound”, on est parti de la thématique de l’altérité, on a fait du soundpainting (procédé de composition directe en fonction d’un langage codé et gestuel très précis), puis on a inventé une histoire à partir de ce travail. Opéra.22 raconte une vision du futur où tout le monde serait fabriqué dans le même moule, jusqu’à ce qu’un premier grain de sable apparaisse : un enfant bariolé, puis deux, puis trois... Ils vont être rejetés par la société. Mais une fois exclus, le monde sera privé de couleurs, donc les enfants différents devront être rappelés. 

 


A quelle occasion avez-vous rencontré le jeune Mourad ? 


Il y a quatre ans et demi, lors d’une intervention dans sa classe. C’était le lendemain d'une grande fusillade dans la cité, les enfants étaient complètement traumatisés. Quand j'interviens dans les classes, il n'y a pas de piano, donc j'apporte un petit accordéon pour avoir un support musical. J'ai trouvé des enfants tellement abîmés que je ne pouvais rien faire. J'ai sorti l'accordéon et commencé à jouer. Ils étaient en CM1, très jeunes donc, et il se sont mis autour de moi, comme des bébés, blottis et disaient : "Joue, joue encore !" Je ne suis pas très bonne accordéoniste mais ça leur faisait du bien. Puis tout à coup, le petit Mourad s'est mis à chanter, à improviser. Je changeais d'accord et hop, il me suivait, modulait etc. Moi aussi je chantais, tout en improvisation sur des "oooh" comme une petite berceuse collective. Musicalement, il m'a transpercé. Il faisait partie de ces enfants qui avaient besoin d'être consolé par la musique, je sentais que ça leur faisait tellement de bien qu’on a passé la séance comme ça.


Par la suite j'ai demandé à l'institutrice de me présenter ses parents pour leur expliquer que Mourad était musicien et qu'il fallait l'accompagner sur ce chemin. Ils ont accepté de me confier son accompagnement musical. Mourad a intégré la Troupe Chantante [groupe d’adolescents volontaires qui travaillent hors temps scolaire sur des projets du VOC] et a participé à l'école d'été du Vivier Opéra Cité, une semaine intense en juillet dans un espace du théâtre du Merlan. C’est ici qu’ont commencé les prémices du projet Opéra.22… Jusqu’à la création, en 2017, avec 120 personnes sur scène et 6 solistes : les membres de la Troupe Chante. C'était beau de voir tout ce monde qui admirait ces 6 adolescents, les petits bijoux de l'opéra. 

 


Vous ne travaillez jamais sur partition. Comment faites-vous pour transmettre la musique à ces enfants ? 


Il n'y a pas de lecture en effet, tout se fait oralement. Mais c’est surtout un travail d’invention en commun. Par exemple, l'année dernière, la Troupe Chantante a travaillé sur une chanson qu'ils ont inventé, Oiseaux de liberté. Ils ont composé, écrit les paroles, fait un clip qu'ils ont monté etc. Après, pour les projets où je compose, c’est de la transmission orale : je chante et ils répètent. 


Ces projets coûtent de l’argent, arrivez-vous à trouver des financements ? 


C’est très difficile de faire valoir notre travail par les collectivités territoriales, parce que nous sommes toujours hors case. On me répond qu'ils subventionnent la création pour des professionnels ou pour l'EAC qui sont des petites interventions en Éducation Artistique et Culturelle pour les amateurs. Mais de la création avec les amateurs comme cœur de projet, ça ne rentre pas dans les cases. On fait notre travail avec des petits moyens, ce qui nous rend la vie beaucoup plus difficile, notamment faute de reconnaissance : ni la ville, ni le conseil départemental, ni la région ne peuvent soutenir cette création avec les amateurs, c’est parfois aberrant. Tout le monde nous conseille de faire autrement : imaginer une création avec des professionnels à laquelle on ajoute quelques amateurs… Ce serait subventionnable mais ce n'est pas notre cœur de projet. 


Raison pour laquelle certaines créations sont vraiment uniques, avec une seule représentation ? 


Oui, or le plus souvent on travaille deux à trois ans pour faire une création… Il faut une partie du temps pour la recherche, qui n’est donc pas une phase de répétition mais d'exploration et peut prendre en général une année. Puis il faut le temps de monter la création. Pour Opéra.22 par exemple, cela nous a pris deux années de travail, 120 personnes sur scène, et une seule représentation. Ce jour-là on a refusé du monde, le théâtre du Merlan, rempli au deux tiers par des familles de la cité, était complet… C’est dommage. 


Mais cette année on a de la chance pour la prochaine création en mars 2019. Elle sera donnée dans le cadre d’un festival, Tous en sons, et pourra avoir quatre représentations : deux à Aix et deux à Marseille. 

 


Par Aliette Delaleu

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